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Hurry Up Tomorrow

Quel étrange objet filmique.

Et ce n’est pas dans le sens où son étrangeté serait fascinante, amènerait à des pistes de narration très peu abordées au cinéma. Une étrangeté à la David Lynch qui fait errer ses personnages, et nous-mêmes, dans les méandres d’un univers impossible à déterminer et dont personne n’aurait la moindre parcelle de réponse.

Ici, nous sommes plus dans une étrangeté…qui laisse pantois. Dans le sens, quand arrive le générique de fin, que notre cerveau assimile ce qu’on vient de voir, et après quelques secondes de refléxion, on se laisse aller à un immense…”Bordel de merde, qu’est-ce c’était que truc ?!?”.

Bienvenue, ou pas, dans le monde de "Hurry Up Tomorrow".

Affiche hurry up tomorrow

RÉEL OU NUMÉRIQUE ?

Réalisé par Trey Edward Shults, qui a fait précédemment “It Comes At Night”, “Hurry Up Tomorrow” s’inspire du sixième album éponyme d’Abel Tesfaye, alias The Weeknd. Une filiation importante à noter puisque le film est littéralement une plongée dans l’univers du chanteur à succès.

Et non, il ne s’agit pas d’une itération d’une icône pour pouvoir parler de soi à travers une méthode détournée. Le personnage principal est véritablement The Weeknd, enfin Abel joué donc par lui-même, pendant une tournée. Et là où, en début d’année 2025, sortait “Better Man” de Michael Gracey, parlant de la vie de Robbie Williams - dans son propre rôle mais représenté par un singe numérique. Pourtant, la différence de traitement est complètement à l’opposé du film de Shults.

En effet, “Better Man” pouvait certes être perçu comme un sacré égotrip venant du chanteur britannique. Mais quoi qu’on en pense, l’écriture du film était volontairement prétentieuse (en accord avec le caractère du Monsieur) pour mieux montrer les pires facettes de la star. Ainsi, drogue, comportement auto-destructeur, problème oedipien, arrogance étaient maîtres du long-métrage, et servaient à dépeindre la réalité de la vie de Robbie Williams qu’il assume totalement sur grand écran. Pour ainsi, avoir le droit à sa rédemption touchante sans jamais tomber dans un quelconque misérabilisme. Sacré tour de force tout de même.

“Hurry up Tomorrow” raconte donc la vie d’Abel Tesfaye lors d'une tournée, alors qu’il vient de connaître une rupture qui le bouleverse psychologiquement, au point de l’empêcher de chanter lors d’un concert. En parallèle, il y a Jenna Ortega qui brûle une maison, qui est une fan de The Weenkd et assiste à ce dit-concert, et réussit à rencontrer en chair et en os son chanteur préféré qui le fascine.

Nul question de récit en flashback, de récit autobiographique pouvant nous expliquer les origines de The Weeknd, ce qu’il a accompli et pourquoi est-ce une immense star adulé. Même pas un petit montage à la “Space Jam” remontant sa carrière par exemple, pour nous montrer l’envers du décor par la suite. Soyez prévenus : Tout le monde est censé connaître The Weeknd en regardant le film. Si vous êtes tombés dans le coma ces dernières années, tant pis, c'est de votre faute. Parce que vous risquez de passer à côté de l'intention initiale du projet, et ce qu'il en découle. Il ne faut pas oublier que c'est l'adaptation du sixième album, qui rentre dans la logique d'achever une transformation, une remise en question de la star. Sans ça, vous ne verrez uniquement qu'un chanteur populaire faire tout et n'importe quoi, sauf d'être agréable.

Donc, faut-il déjà être connaisseur de l’univers du bonhomme pour rentrer dans l’univers du film ? Hmmm…Même en ayant le bagage nécessaire, difficile de se laisser transporter.

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POV : Ton pote relou trop tactile en fin de soirée.

PASSAGE A TON BAC

Ce qu’il faut savoir, c’est que l’intrigue met beaucoup de temps à démarrer, et que même lorsqu’elle est lancée, c’est ridiculement court et pas suffisamment approfondi pour que ce soit satisfaisant.

La structure narrative est quasiment inexistante. Le film fait la présentation de The Weeknd, de son ami manager, de Jenna Ortega, dont le nom de son personnage ne sera clairement formulé que dans le générique de fin. Puis, le concert qui dérape, la rencontre entre Abel et Jenna, leur sortie ensemble, et enfin, leur arrivée dans la chambre d’hôtel. Et à partir de ce moment-là, le film enchaîne les scènes les plus bizarres, “psychédélique” (avec des grosses guillemets), prétexte à encore plus d’attention sur la "psychologie" (pareillement) de The Weeknd.

Naturellement, la défense soutiendrait que c’est logique et pertinent de confronter le personnage principal à ses problèmes de cette manière pour qu’il puisse évoluer. Mais, bien que cela fasse sens, le traitement réservé à ses scènes, et à donc à l’ensemble du film dans sa globalité, rend le sujet totalement antipathique et extrêmement égocentré. Cela ne fonctionne pas, parce qu’il n’est jamais question de rédemption comme dans “Better Man”. Abel est constamment montré comme une victime, assumant certes son comportement, dont on comprend la détresse psychologique et la peur de l’abandon qui rend ses relations amoureuses toxiques, et dont tout le film ne tourne autour que de son génie torturé. Référence à la scène où Jenna Ortega diffuse deux chansons de The Weeknd (oui oui), et fait de l’explication de texte au chanteur comme si personne n’avait jamais compris ses paroles. Et vivre ce moment est une véritable expérience tant ça paraît sidérant d’assister à un examen d’oral de bac de français comme si The Weeknd avait la plume d’un Emile Zola.

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Dîtes vous bien que : Jenna Ortega est fasciné par TheWeeknd, et l'idôlatre, dans un film centré sur The Weeknd, écrit et joué par lui-même. Hideo Kojima en deviendrait presque jaloux.

VISIONS ET REGARDS

Entre une scène de cauchemar et de brève de comptoir, que propose véritablement “Hurry Up Tomorrow” ? Un immense clip de The Weeknd. Mais pas un bon clip de The Weeknd.

En effet, quel est le meilleur moyen pour un artiste aussi marqué que The Weeknd de laisser son imaginaire s’exprimer ? Le cinéma était un terrain tout trouvé. L’univers du chanteur est une véritable mine d’or d’expérimentation, de souffrance, de remise en question, de parti pris esthétique. Il n’y a qu’à voir le clip “Save Your Tears” où le chanteur s’est enlaidi avec un maquillage de chirurgie esthétique volontairement grossier, et les personnages alentours portant des masques les rendant effrayant car anonyme et spectateurs d’une prestation qui n’hésite pas à les ignorer, dans un décor froid et brut, sont tout autant des signes évidents d’une envie cinématographique à concevoir le meilleur. Ou bien encore, qu’il se fasse vieillir, ride et cheveux grisonnants, et regard vide, pour son album “Dawn FM” et dont il assure un spectacle entier avec cet aspect. Avoir un chanteur avec cette vision, couplé avec sa musique, et dont il peut concevoir tous les aspects artistiques conjointement, était assurément une bonne idée. C’est comme si Stromae réalisait lui-même un film, ça fait rêver.

Sans conteste, l’esthétique de “Hurry Up Tomorrow” est la meilleure chose du film. Du moins, la photographie de Chayse Irvin, directeur photo sur “Blonde” ou “BlacKkKlansman”, est un bonbon pour les yeux. Avec son grain à l’image, la photographie recherche constamment le noir, les jeux de contre-jour, les couleurs pétillantes, doré par exemple, pour exprimer toute la complexité humaine des personnages et leur rapport à ce qui les entoure, aussi bien à d’autres personnes que le décor. La scène du cauchemar notamment reste une bonne illustration de cette recherche, quand Abel est dans l’ascenseur et que l’extérieur est simplement vide de toute lumière, faisant ressurgir toutes les peurs possibles et imaginables, et quand Abel erre dans cette obscurité avec sa lampe de portable pour seule lumière. Et cette photographie permet également de mettre en avant les sentiments des personnages et de leur regard. Par exemple, les plans de Jenna Ortega qui est envoûtée par The Weeknd, où on perçoit très nettement les taches de rousseurs de l’actrice, apportant un côté candide au personnage et contrastant avec sa personnalité, renforce sa prestation qui est la meilleure du début à la fin. Pareil pour Barry Keoghan, dont un gros plan serré sur son visage, dont les yeux bleus ressortent, asseyant une fois de plus sa domination sur Abel/The Weeknd.

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Défi du jour : Battre Barry Keoghan à une baston de regard. (Spoiler : Vous allez perdre)

Mais à l’exception de quelques plans comme expliqués auparavant, la réalisation de Trey Edward Shults est assez bancale.

Ironique quand on voit les moyens mis en oeuvre sur la plupart des scènes. Le début du film est rempli de plan séquence, qui se répondent presque parce qu’est mis en parallèle la trajectoire d’Abel et de Jenna Ortega. Mais il ne suffit pas de faire un beau plan séquence, encore faut-il que cela raconte quelque chose. Une image est une grammaire, le choix des mots, donc des mouvements ou non de la caméra, doit avoir un sens. Il peut y avoir un champ lexical, des leitmotiv, rien que dans la mise en scène. Sauf que le réalisateur est malheureusement persuadé qu’en enrobant ça avec des beaux mouvements de caméra et une esthétique léché, le travail était fini.

Par exemple, les deux plans séquences du début sont la preuve que ce sont des plans purement fonctionnels. Quel est l’intérêt de filmer en plan-séquence The Weeknd dans sa loge en train de se préparer, et de sortir des backstages pour se rendre sur scène ? Et de filmer de la même manière Jenna Ortega en train d’imbiber la maison d’essence ? Aucun. Des plans parfaitement découpés et maîtrisés auraient très bien pu faire l’affaire, en plus de mieux rythmer les deux scènes en question, et créer plus de liens narratifs entre les deux.

Et les choix de mises en scènes se répètent, comme lorsque Jenna Ortega chante et danse sur les chansons de The Weeknd. C’est filmé du point de vue d’Abel, elle s’éloigne, danse, se rapproche dans un gros plan, ensuite plan déambulé sur Abel, explication de texte, et vous recommencez la chorégraphie. Cela se fait d'affilée, sans jamais changer de mouvements de caméra ni de style, faisant du surplace, et rendant l’instant assez faiblard et peu impactant.

Et c’est sans compter les changements de ratio d’image tout au long du film. En effet, tantôt “filmé” en 4/3, puis en scope, ces changements sont là pour souligner l’état d’esprit d’Abel. Un moment où il va se sentir oppressé ou il est concentré sur ses émotions, donc l’image va être en 4/3 donc resserré. Quand cela passe au scope, la vision s'agrandit et devient plus large. Il se sent mieux, ou alors, il est focalisé sur son environnement : Comme lorsqu’il chante au concert pour montrer qu’il se concentre sur le public, et non plus que sur lui-même.

Une vaine tentative pour, encore une fois, faire croire que l’image est travaillée. Même si l’intention semble louable sur le papier, dans les faits, il s’avère que c’est plus un gadget qu’autre chose. Puisque ce système n’est utilisé que sporadiquement, et aurait pu traduire davantage le mental constamment brouillé de The Weeknd. Cela aurait pu être chaotique, mais aurait été raccord avec l’esprit du film et l’univers du chanteur.

Donc, même si il y a un certain plaisir à écouter du The Weeknd dans une salle de cinéma, ce dernier tombe maladroitement dans les travers d’un thriller psychologique expérimental peu original. C’est une immense coquille vide malheureusement, alors qu’il avait tout pour faire éclater un objet filmique explosif, qui envoie valser les codes, ou alors qui embrase tout ce que le cinéma peut apporter. Mais à l’image de sa prestation, The Weeknd ne sait pas exprimer ses émotions et se complait dans l’apitoiement. Même si pourtant, la finalité du projet est la rédemption, la conclusion de ce qu’il a été.

Quelques mois auparavant, “Joker Folie à deux” de Todd Philipps était une longue séance de psychanalyse nombriliste. Mais “Hurry Up Tomorrow” réussit l’exploit d’être encore plus égocentré et moins profond, et dont on a été naïf pour qu’on paye. Même la sécurité sociale n’avait pas vu une fraude aussi bien rodé et légale.

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